Facettes flamandes

Banc Public n° 283 , Janvier 2020 , Catherine VAN NYPELSEER



A côté de la vision nationaliste de Bart De Wever présentée dans ce numéro, voici une autre manière d'évoquer l'identité flamande, toute en finesse et en facettes, et nettement plus pragmatique. Il s'agit d'une série de courts sujets intitulée "Petites mythologies flamandes" (*), éditées initialement en néerlandais puis traduites en français, agrémentées de photos en noir et blanc et d'une préface du sociologue Claude Javeau.

Au lieu de théoriser l'identité flamande, ces auteurs tentent plutôt de nous la faire ressentir à travers divers traits sociologiques évoquant une attitude caractéristique de nos compatriotes. Au contraire des certitudes inébranlables, on pratique ici l'autodérision...

 

"Vous z'êtes d'où ?"

 

Ils se rejoignent pourtant dans le premier sujet, intitulé "Vous z'êtes d'où ?", selon la question que se posent systématiquement deux Flamands qui ne se connaissent pas lorsqu'ils se rencontrent.

En effet, "L'idée qu'on est de quelque part n'a rien d'étonnant : l'identité est une donnée sociale, personne n'est ou ne devient lui-même sans les autres. Mais l'idée que cette appartenance ait une dimension territoriale est très flamande. (...) Contrairement à ce qu'on pourrait croire, cette question obsessionnelle de l'ancrage local dénote un caractère fondamentalement démocratique et même égalitaire. (...) Les clivages traditionnels ont beau être pour la plupart estompés aujourd'hui, la différence elle-même est naturellement restée, et le 'Vous êtes d'où ?' demeure la réponse par excellence à la même demande du vivre-ensemble dans la diversité. Fondamentalement égalitaire donc, puisque chacun peut se targuer d'être de quelque part." (p. 22).

 

Le chevalier rouge

 

De Rode Ridder est le héros d'une série de romans pour jeunes garçons dont l'auteur était Léopold Vermeiren (1914-2005). Pendant 64 tomes, les chevaux galopent toujours "ventre à terre", les flèches ne rataient jamais leur but, les gentils chevaliers levaient toujours "promptement" la tête.

Selon les critères actuels, ils seraient "d'une incorrection politique rare", car, dans cet univers, tout ce qui est étranger est d'office suspect (p. 23).

 

Cette série a connu un grand succès commercial vers la moitié des années 1980, et le club du Chevalier rouge comprenait environ 60.000 membres en Flandre. Son moyen d'affiliation "n'avait rien de médiéval": il fallait ouvrir un compte d'épargne à la Kredietbank de l'époque, à laquelle le chevalier prénommé Johan avait "vendu son âme". En tant que membre du club on recevait "une jolie carte du club Chevalier rouge", des affiches et une ristourne sur les livres du héros.

Il s'agissait tout de même d'un "Robin des bois flamand", qui prenait la défense des pauvres et protégeait les faibles. Invincible, il enchainait les prouesses dès le premier tome: nourrir des enfants, sauver des hommes, libérer des villages, emprisonner des voleurs, tout en n'hésitant pas à flanquer une raclée à un mauvais...

 

Gazon flamand

 

Le sujet sur le gazon, un enjeu territorial, est particulièrement amusant et évocateur. Pour Karel Vanhaesebroeck, "On ne trouve des parterres de gazon aussi joliment alignés à angles droits nulle part ailleurs que dans la partie septentrionale de notre pays". Grâce au gazon, on peut toujours savoir si l'on se trouve dans la partie wallonne ou flamande du pays: "La pelouse du Flamand, sévèrement tirée au cordeau et zébrée des lignes parallèles de la tondeuse, est bichonnée avec soin, comme on le ferait d'un terrain de foot, d'un green de tennis ou d'une table de billard", alors que "celle du Wallon est fantasque, souvent désordonnée et surtout, elle est verte (parce qu'il ne coupe pas l'herbe à ras). C'est la différence entre la pelouse du Sud et le gazon du Nord." (p. 61).

 

Ce gazon "est la raison d'être du jardin flamand. Sans gazon, pas de jardin et donc pas de maison.

C'est pourquoi le Flamand bâtit sa maison au milieu de sa parcelle : pour qu'il puisse, du geste auguste du semeur, remplir d'herbe les espaces qui entourent sa maison – espaces dont il ne fait aucun usage."

 

La finalité du gazon est d'être "tondu, rasé et donc maîtrisé. Il est "par nature 'contre nature' ". C'est le résultat "de notre dégoût et de notre angoisse face à la nature vierge, sauvage. Il nous permet de démarquer clairement notre propre espace de celui de la nature indomptée. Faucher l'herbe est donc une forme de marquage du territoire." (p. 62)

 

Urbanisme

 

Ah, les chaussées flamandes ! "Celui qui emprunte une chaussée, le fait pour regarder, pas pour arriver vite : sinon on prend l'autoroute. La lenteur du trafic, en partie causée par les nombreux feux rouges et en partie par le comportement des automobilistes qui font leur shopping, n'est pas dérangeante puisqu'elle permet aussi de se rincer l'oeil." (p. 77)

 

"Sur une chaussée en Flandre, on roule quasiment dans un caniveau de marchandises, flanqué des deux côtés d'étalages et de panneaux d'affichage. On roule à travers un paysage, mais le paysage n'est plus visible."

 

"La chaussée flamande est étroitement liée à cet autre phénomène proto-flamand : l'habitat linéaire. (...) La Flandre connaît une forte densité de population répartie de façon plus ou moins homogène sur le territoire. (...) L'espace rural devient de ce fait une zone suburbaine, qui tend à se confondre avec les noyaux urbains proprement dits. (...) L'habitat linéaire est le produit d'une politique qui accepte que l'aménagement du territoire s'aligne sur les besoins ou les caprices de l'individu." (pp. 78-79)

 

Goedele Liekens

 

Goedele Liekens est une BV (Bekende Vlaming, c'est-à-dire Flamand connu), une ex-Miss Belgique (1986) qui joue un rôle de spécialiste du sexe à la télévision flamande (VTM). Diplômée en sexologie de la VUB, elle tient un discours "franc et direct" qui n'était accessible auparavant qu'aux Pays-Bas.

 

Son caractère reconnaissable "se niche peut être en premier lieu dans la reconnaissance d'une identité proprement flamande : nous aussi, nous en sommes capables. (...) il ne s'agit pas de faire quelque chose de neuf, mais de montrer que la Flandre n'a pas lieu d'importer des programmes et peut tout faire, avec la touche linguistique flamande en prime" (...). "C'est d'ailleurs sans doute ce facteur flamand qui explique la longévité médiatique de Goedele. (...) Le succès de la formule démontre aussi que l'appétit d'une identité flamande facilement assimilable n'a pas encore atteint son point de saturation" (pp. 144-145)

 

Vlaanderen in Actie

 

Le projet désigné par ses initiales ViA, la Flandre en action, était constitué d'un ensemble de 337 projets sélectionnés et dotés d'une "généreuse injection financière" par le gouvernement flamand en 2006. L'objectif était d'arriver à faire de la Flandre une "top-région" en 2020 sur le plan économique, mais aussi "de prendre des mesures significatives en matière d'environnement, d'enseignement et de lutte contre la pauvreté". (p. 117)

 

Pour Karel Vanhaesebrouck, le processus de régionalisation est indissociable en Flandre de la "néolibéralisation du système politique". Les décisions politiques "se veulent pragmatiques et uniquement basées sur des faits chiffrés, prétendant ainsi à une forme de neutralité politique dégagée de toute scorie idéologique. La politique est donc réduite à ce que l'on nomme communément la 'bonne gouvernance' en Flandre, soit la logique politique du bon sens qui ne s'embarrasse pas de considérations sociales mais avance imperturbablement chiffres et courbes de croissance à la main." (p. 118)

 

En ce qui concerne le projet ViA, le "discours euphorique" s'est un peu calmé. Le Standard titrait en avril 2013: "ViA n'annonce pas le printemps économique". Selon les indicateurs établis par l'administration flamande, soit la croissance économique, l'exportation, la productivité, l'entrepreneuriat et l'innovation, 38 % seulement des projets ont été jugés positifs, pour 33 % stagnants et 29 % négatifs.

 

Il en conclut : "Et nous voilà repartis dans la course où la Flandre devra pédaler pour ne pas finir 'lanterne rouge' du peloton." (p. 119)

 

Conclusion

 

On le voit, le petit livre attachant de Jan Baetens et Karel Vanhaesebroeck signale avec tendresse des traits caractéristiques variés de la Flandre concrète, telle qu'on peut la côtoyer au quotidien ou la fréquenter sur le plan politique, sans l'ambition de dresser un portrait exhaustif solennel de l'identité flamande.

 


Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

(*) "Petites mythologies flamandes"

par Jan Baetens et Karel Vanhaesebroeck

Préface de Claude Javeau

Photographies de Brecht Van Maele

Éditions La lettre volée

Janvier 2019

172 pages

 
     

     
 
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