Extrait "Changeons d'agriculture"

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Jacques Caplat est agronome et ethnologue. Il est également l’auteur de L’Agriculture biologique pour nourrir l’humanité – Démonstration chez Actes Sud (2012).

ISBN 978-2-330-03234-0 Dessin de couverture : © David Dellas, 2011

ACTES SUD DÉP. LÉG. : MAI 2014 17 e TTC France www.actes-sud.fr

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JACQUES CAPLAT CHANGEONS D’AGRICULTURE

Le “modèle” agricole qui s’est imposé depuis quelques décennies est de plus en plus critiqué en raison de ses conséquences néfastes sur l’environnement, l’emploi et la santé humaine et animale. Pourtant, sa remise en cause est souvent écartée au nom de l’urgence alimentaire : il serait “le seul capable de nourrir l’humanité”. Cette affirmation péremptoire interdit le débat et nous enferme dans une impasse dont il est urgent de sortir. L’objet de cet ouvrage est de lever certains malentendus et de détailler les alternatives qui nous permettront d’élaborer une autre agriculture, capable de réconcilier paysans, environnement et société. Pour ce faire, l’auteur explique quels ont été les choix scientifiques, économiques et politiques qui ont présidé à l’élaboration du modèle “conventionnel”, et démontre que d’autres choix tout aussi performants sont possibles. Il décrit alors les étapes d’une transition en s’appuyant sur la réalité de milliers de paysans passés de l’agriculture conventionnelle à l’agriculture biologique. C’est donc bien d’actes concrets et réalisables qu’il est question ici, où paysans et citoyens sont mis à contribution, chacun ayant son rôle à jouer dans une transition réussie vers l’agriculture de demain.

ACTES SUD

CHANGEONS D’AGRICULTURE

JACQUES CAPLAT

CHANGEONS D’AGRICULTURE RÉUSSIR LA TRANSITION

DOMAINE DU POSSIBLE ACTES SUD


jacques caplat

changeons d’agriculture réussir la transition Par l’auteur de l’agriculture biologique pour nourrir l’humanité

DOMAINE DU POSSIBLE Actes Sud



Aux pionniers et pionnières de l’agriculture biologique, en France et dans l’ensemble du monde, qui sous-estiment souvent l’importance de leurs apports et de leur existence. Alors qu’ils ont parfois reçu plus de critiques ou d’hostilité que de reconnaissance et de remerciements, ce sont bien leur audace et leurs innovations qui ont permis d’esquisser l’agriculture de demain et nous ont donné la force de nous engager à notre tour dans des chemins aventureux. Rien n’aurait été possible sans eux.


Introduction 10 I. L’agriculture biologique est la plus performante pour nourrir l’humanité

16

1. L’agriculture conventionnelle, un géant aux pieds d’argile

17

2. Les structures élémentaires de l’agronomie

29

3. L’agriculture biologique : reconstruire un “organisme agricole”

40

4. Rendements ou productivité : quelles performances pour les différentes agricultures ?

47

5. De la sécurité alimentaire à la souveraineté alimentaire

56

6. Un choix est possible

64

II. Réussir la transition

66

1. Les acquis de l’expérience

67

2. L’agriculture majoritaire actuelle

71

3. Ce que l’agriculture pourrait être

78

4. Quelle agriculture biologique, quelles étapes intermédiaires ?

84

5. La diffusion des techniques alternatives et leur amélioration

92

6. Matériel et emploi

101

7. Coopération entre fermes ou réduction des structures ?

104

8. Et l’économie ?

109

9. Quand le possible rejoint le souhaitable

114

III. Chacun peut agir !

116

1. La consommation, une condition nécessaire mais pas suffisante

117

2. Exprimer la demande sociale

121

3. L’économie sociale et solidaire au secours de l’innovation

123

4. La protection de l’eau : un impératif et un outil pour l’action

126

5. Produits bio en restauration collective : la nécessité d’un développement local

128

6. L’éveil d’une agriculture urbaine

131

7. Une évolution comportementale toujours possible

135

Conclusion 138 Glossaire 140 Bibliographie 150 Remerciements 153



introduction


L’

agriculture n’existe pas en dehors d’un contexte géographique et humain, elle est la rencontre entre une société et un territoire. Lorsque ce contexte évolue, en raison d’un changement climatique ou de modifications sociales ou économiques, il est nécessaire que le système agricole s’ajuste aux nouvelles conditions. Le drame de notre agriculture actuelle est d’être restée corsetée dans un cadre scientifique et économique dépassé et, disons-le, franchement archaïque. Pire encore, les bases de notre prétendu “modèle” agricole sont désormais dangereuses pour les équilibres humains aussi bien qu’écologiques. Certains observateurs lucides1 avaient identifié ces dangers depuis près d’un siècle, et il faut leur rendre hommage pour l’acuité de leurs critiques. Mais la question n’est plus de décerner des bons ou des mauvais points : que le système agricole mis en place après la Seconde Guerre mondiale ait, ou n’ait pas, été pertinent un jour, il est de toute façon profondément obsolète et s’enferme dans des contresens agronomiques et économiques intolérables à long terme. Il est temps de changer d’agriculture. Ce changement ne se fera pas contre les agriculteurs, mais avec eux. Remettre en cause un système agricole ne signifie pas remettre en cause l’intégrité des humains qui le pratiquent. Certains agriculteurs “conventionnels” actuels entretiennent bien sûr un système qui les arrange, voire leur offre une rente de situation. Mais beaucoup d’entre eux sont avant tout des victimes, plus ou moins consentantes : premières victimes des pesticides* 2 qu’ils pulvérisent, dépendants d’un système bancaire qui les a poussés à s’endetter, variables d’ajustement des spéculations mondiales sur les matières premières agricoles, enfermés dans un mode de production qu’ils n’ont pas toujours choisi mais qui leur est présenté comme inéluctable.

1.  Tels les fondateurs de l’agriculture biologique. 2.  Les termes suivis d’un astérisque à leur première occurrence sont expliqués dans le glossaire, p. 140.

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J’insiste sur ce dernier constat, qui représente l’un des principaux obstacles à l’évolution de l’agriculture. L’ensemble de la superstructure agroalimentaire et agricole affirme inlassablement aux agriculteurs (et aux citoyens) que cette agriculture dite “conventionnelle” serait une fatalité, une nécessité s’imposant à l’humanité si elle veut se nourrir. Cette propagande, car ce n’est pas autre chose, étouffe les paysans et les prive de leur autonomie* de pensée et d’action. Or, rien n’est plus faux que cette prétendue nécessité du “modèle” d’agriculture conventionnelle* pour nourrir l’humanité. Basée sur des erreurs agronomiques, des idées reçues et une inertie économique favorable aux multinationales, elle constitue l’un des mythes les plus enracinés – et les plus dangereux – de notre société contemporaine. L’un des premiers objectifs de ce livre, et qui fera l’objet de sa première partie, est de réfuter ce mythe. Pour changer, il faut d’abord disposer de plusieurs solutions, de plusieurs démarches. Nous verrons que la culture pure* de variétés* standardisées n’est pas vraiment performante sur le plan agronomique, et que des systèmes basés sur les cultures associées*, les semences paysannes*, la valorisation de la main-d’œuvre et les liens au territoire permettent des rendements à l’hectare supérieurs à ceux de notre agriculture prétendument intensive*. Ces alternatives techniques sont, en particulier, optimisées au sein de la démarche systémique appelée “agriculture biologique”, qui est une approche moderne, savante et diversifiée, et qui assure aux paysans le maintien d’un revenu satisfaisant, voire conforté. Il est parfaitement possible de nourrir 12 milliards d’humains avec l’agriculture biologique, sans défricher un seul hectare supplémentaire et même au contraire en reconstituant des écosystèmes* actuellement dégradés. Nulle fatalité, nulle impasse : une autre agriculture est possible. Une fois rétablie cette vérité, il nous faudra nous pencher sur une question complexe, celle de la transition. Il ne suffit pas de savoir qu’un choix existe pour pouvoir automatiquement le réaliser ! En Europe, en particulier, l’évolution vers une agriculture biologique massive imposera des changements profonds sur le plan de l’accompagnement des agriculteurs, de la recherche,

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de l’organisation des filières agroalimentaires*, de la fiscalité du travail, etc. Tous ces changements se retrouvent à l’échelle d’une ferme. L’évolution de certaines d’entre elles prendra nécessairement du temps et imposera de prévoir des étapes progressives – d’autant plus nombreuses et longues que les fermes seront industrielles et donc éloignées d’un système biologique. Cette transition à l’échelle des fermes et des dispositifs publics fera l’objet de la deuxième partie de ce livre. Mais la transition vers une autre agriculture n’est pas l’affaire des seuls agriculteurs et décideurs institutionnels ! Chaque citoyen peut contribuer à susciter, aider, accompagner ou amplifier le changement, et chacun d’entre nous peut aussi se réapproprier une partie des gestes agricoles. Que ce soit par le financement solidaire, l’aide à l’accès au foncier, la consommation de produits issus de l’agriculture biologique de proximité, le jardinage urbain, l’utilisation du droit de vote ou la pression sur les institutions, nous pouvons tous apporter notre goutte d’eau. La troisième partie présentera certaines de ces actions utiles et accessibles à chaque lecteur. Les informations présentées ici sont synthétiques. Ceux et celles qui voudront aller plus loin pourront se reporter à la bibliographie, et en particulier à mon livre L’Agriculture biologique pour nourrir l’humanité – Démonstration1.

* Avant de poursuivre, il me faut évoquer un instant la question démographique, qui est au cœur des discussions sur l’avenir de l’agriculture. Pour démontrer qu’une alternative agronomique est crédible et pertinente, il est aujourd’hui nécessaire de la “calibrer” sur les prévisions démographiques de l’onu. C’est une évidence élémentaire : toute solution doit envisager (et résoudre) l’hypothèse la plus extrême. C’est la raison pour laquelle il est indispensable de se placer dans la perspective, actuellement envisagée 1.  Actes Sud, 2012.

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pour le siècle prochain, d’une humanité composée de 12 milliards d’individus. C’est parce que l’agriculture biologique peut nourrir sans aucun doute ces 12 milliards d’humains, à surfaces constantes et en assurant un revenu convenable aux paysans, qu’elle est indiscutablement une solution essentielle aux enjeux alimentaires. Mais les débats sur la démographie mondiale ne sont certainement pas épuisés par la question alimentaire. Une fois celle-ci résolue, nous ne pourrons pas faire l’économie de réflexions sur les autres ressources non renouvelables (énergie, minerais…), dont la gestion sera bien entendu rendue bien plus difficile par une humanité à 12 milliards d’individus qu’à 7 milliards. En outre, l’urbanisation et des choix de société basés sur la voiture et l’avion conduisent à artificialiser * de plus en plus de terres agricoles, pour la construction de centres commerciaux, de zones pavillonnaires, de routes, d’aéroports… Au-delà, la démographie planétaire pose des questions éthiques, écologiques et de qualité de vie. Je ne nie pas ces interrogations, mais elles doivent être abordées par elles-mêmes et non en invoquant abusivement la dimension alimentaire pour les mettre en scène ou les détourner. La question posée ici est celle de l’existence, ou non, d’une alternative agricole. À hypothèse démographique constante (qu’il s’agisse de 10, 12 ou 15 milliards d’humains), l’agriculture biologique est-elle une meilleure solution alimentaire, environnementale, sociale et économique que l’agriculture conventionnelle ? C’est à cette interrogation que je vais maintenant répondre.


Jacques Caplat est agronome et ethnologue. Il est également l’auteur de L’Agriculture biologique pour nourrir l’humanité – Démonstration chez Actes Sud (2012).

ISBN 978-2-330-03234-0 Dessin de couverture : © David Dellas, 2011

ACTES SUD DÉP. LÉG. : MAI 2014 17 e TTC France www.actes-sud.fr

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JACQUES CAPLAT CHANGEONS D’AGRICULTURE

Le “modèle” agricole qui s’est imposé depuis quelques décennies est de plus en plus critiqué en raison de ses conséquences néfastes sur l’environnement, l’emploi et la santé humaine et animale. Pourtant, sa remise en cause est souvent écartée au nom de l’urgence alimentaire : il serait “le seul capable de nourrir l’humanité”. Cette affirmation péremptoire interdit le débat et nous enferme dans une impasse dont il est urgent de sortir. L’objet de cet ouvrage est de lever certains malentendus et de détailler les alternatives qui nous permettront d’élaborer une autre agriculture, capable de réconcilier paysans, environnement et société. Pour ce faire, l’auteur explique quels ont été les choix scientifiques, économiques et politiques qui ont présidé à l’élaboration du modèle “conventionnel”, et démontre que d’autres choix tout aussi performants sont possibles. Il décrit alors les étapes d’une transition en s’appuyant sur la réalité de milliers de paysans passés de l’agriculture conventionnelle à l’agriculture biologique. C’est donc bien d’actes concrets et réalisables qu’il est question ici, où paysans et citoyens sont mis à contribution, chacun ayant son rôle à jouer dans une transition réussie vers l’agriculture de demain.

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