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Jacques Brassinne de La Buissière

L’exécution de Lumumba Témoignage(s)


Illustration de couverture: Portrait de Lumumba peint sur un mur de la maison Brouwez où il fut incarcéré le 17 janvier 1961. Photo prise par l’auteur en 1988. Toutes les illustrations de ce livre sont issues de la collection privée de l’auteur. L’auteur et l’éditeur se sont efforcés de régler les droits des ayants droits conformément aux prescriptions légales. Les détenteurs de droits que, malgré nos recherches, nous n’aurions pu retrouver sont priés de se faire connaître à l’éditeur.

Couverture: Dominique Hambye Mise en pages: MC Compo, www.mccompo.be Relecture: Catherine Meeùs

Toutes reproductions ou adaptations d’un extrait quelconque de ce livre, par quelque procédé que ce soit, réservées pour tous pays. www.racine.be Inscrivez-vous à notre newsletter et recevez régulièrement des informations sur nos parutions et activités. © Éditions Racine, 2018 Tour & Taxis, Entrepôt royal 86C, avenue du Port, BP 104A • B-1000 Bruxelles D. 2018, 6852. 36 Dépôt légal: décembre 2018 ISBN 978-2-39025-068-5 Imprimé aux Pays-Bas


AVANT-PROPOS

«Une plainte avec constitution de partie civile fut déposée le 23 juin 2011 par Monsieur François Lumumba contre Messieurs Charles Huyghé, Jacques Bartelous, Roger Léva, François Son, Claude Grandelet, Armand Verdickt, Jacques Brassinne de La Buissière, René Grosjean, Fernand Vervier, Étienne Davignon et X du chef de crimes de guerre, tortures et traitements inhumains et dégradants 1.» Saisie de cette plainte le 7 juin 2012, la chambre des mises en accusation de la Cour d’appel de Bruxelles déclara, le 12 décembre 2012, qu’il appartenait au juge d’instruction de poursuivre son travail. Depuis lors, plus rien. Huit des personnes mises en cause sont décédées. La justice semble attendre la mort des deux dernières pour classer définitivement l’affaire. Pour ma part, je préférerais qu’elle tranche au plus vite, étant donné que les différents intéressés n’ont joué aucun rôle déterminant dans les faits incriminés. C’est ce qu’explique notamment le présent ouvrage. Au moment des faits, en 1961, j’étais chargé de mission par Harold d’Aspremont Lynden, ministre des Affaires africaines dans le gouvernement de Gaston Eyskens. En poste à Léopoldville ( aujour­ d’hui Kinshasa ) en juillet 1960, puis, à partir du mois d’août 1960, à Élisabethville ( aujourd’hui Lubumbashi ), j’ai fait partie de la Mission technique belge créée par Harold d’Aspremont Lynden et chargée d’apporter une aide technique et militaire au Katanga, puis du Bureau Conseil rattaché à la présidence du Katanga. Celui-ci était dirigé par René Clémens, professeur à l’Université 7


de Liège. Héritier de la Mission technique, ce Bureau travaillait en étroite collaboration avec le colonel BEM Frédéric Vandewalle, également chargé de mission du gouvernement belge, qui supervisait l’assistance technique militaire au Katanga. Ma présence s’explique par le fait que, début 1960, j’avais secondé, en qualité de secrétaire général, le vice-Premier ministre Albert Lilar, président de la Table ronde politique belgo-congolaise qui s’est tenue à Bruxelles du 19 janvier au 20 février 1960. L’objectif de cette conférence, rassemblant hommes politiques belges et congolais, était de définir les structures politiques du futur État et de fixer la date de l’indépendance du Congo. J’avais ainsi eu l’occasion de rencontrer et de connaître à Bruxelles la plupart des acteurs africains que j’ai retrouvés, après l’indépendance, à Léopoldville ainsi qu’au Katanga. Présent à Élisabethville le 17 janvier 1961, date de l’exécution de Patrice Lumumba, pressentant que cet événement allait peser lourd sur l’avenir du Katanga, j’ai décidé de récolter un maximum d’informations sur tout ce qui s’était passé. En fait, j’ai mis 30 ans à réaliser ce travail. Les principaux acteurs militaires et civils n’ont accepté de témoigner sans réserve qu’après leur retraite. Ce n’est pas la première fois, loin de là, que j’écris sur ce sujet. Par exemple, le récit du déroulement de la fuite de Lumumba de ­Léopoldville et de sa séquestration ultérieure est proche de celui figurant dans l’ouvrage que Jules Gérard-Libois et moi-même avons publié en 1966 au Centre de recherche et d’information socio-politiques ( CRISP ), intitulé Lumumba Patrice. Les cinquante derniers jours de sa vie 2. De plus, cet épisode a fait l’objet d’un ouvrage rédigé par Jean-Marie van der Dussen de Kestergat, en collaboration avec moi 3. À différentes reprises ( 1964, 1966 et 1988 ), je me suis rendu au Katanga pour recueillir les données géographiques et cartographiques nécessaires à la rédaction de ma thèse de doctorat, intitulée Enquête sur la mort de Patrice Lumumba 4, défendue en 1991 à l’Université libre de Bruxelles. 8


Avant-propos

Le présent essai a pour objectif de mettre les résultats de mes recherches à la disposition d’un très large public. Il est fondé sur la récolte de témoignages et de documents de l’époque ayant fait l’objet d’une analyse approfondie. Ces derniers sont publiés intégralement sur Internet, où ils peuvent être consultés depuis 1991. Les déclarations et les interviews des témoins ont été enregistrées et authentifiées par eux. Elles ne sont considérées comme des «témoignages» que lorsqu’elles sont signées ou que les interlo­ cuteurs ont marqué expressément leur accord sur leur contenu. À l’initiative du professeur Jean Stengers ( ULB ), j’ai exposé cette méthode de travail à l’Académie royale des sciences d’outre-mer le 9 novembre 2000. Les témoignages et archives ont été déposés aux archives de la bibliothèque de l’École royale militaire. Le présent ouvrage vise à analyser la responsabilité de la dispa­ rition de Patrice Lumumba, Maurice M’Polo et Joseph Okito. Celle-ci incombe à ceux qui ont décidé de les envoyer au Katanga ainsi qu’à ceux qui, dès leur arrivée, ont décidé de les exécuter, et non pas aux dix Belges cités à comparaître en 2011. Notes 1.  Ministère de la Justice, Parquet fédéral, Pro justitia. Chambre des mises en accusation. Réquisitoire du 7 juin 2012. 2.  G. Heinz et H. Donnay, Lumumba Patrice. Les cinquante derniers jours de sa vie, collection Texte-Image-Son, Bruxelles-Paris, CRISP-Le Seuil, 1966. Les auteurs ont utilisé le patronyme de leur mère comme pseudonyme: G. Heinz est Jules Gérard-Libois et H. Donnay, c’est moi. 3.  Jean Kestergat et Jacques Brassinne, Qui a tué Lumumba?, Gembloux, Imprimerie Duculot, 1991. 4.  Enquête sur la mort de Patrice Lumumba, 2 volumes: Témoignages et Documents, 1991. www.brassinnedelabuissiere-lumumba.be.

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Introduction

Le Congo au lendemain de l’indépendance Tensions internes et interventionnisme international Patrice Émery Lumumba fut nommé Premier ministre du gouvernement de la République du Congo par la Chambre des représentants le 23 juin 1960. Moins de quatre mois plus tard, il fut démis de ses fonctions et, moins de sept mois plus tard, il fut exécuté. Avant d’en venir à cet itinéraire tragique, un bref rappel est indispensable pour la clarté du récit. Il porte à la fois sur les principaux événements qui marquèrent cette courte période troublée et incertaine et sur les diverses personnalités qui y jouèrent un rôle déterminant. La confusion était d’autant plus grande que les événements ne relevaient pas seulement de tensions internes à la jeune République, notamment entre Léopoldville et Élisabethville, siège d’un gouvernement sécessionniste, mais aussi entre le nouvel État et son ancien colonisateur, la Belgique. Bruxelles était donc impliquée, sans compter Washington et Moscou. Nous étions en effet en pleine Guerre froide, avec un enjeu de taille pour les deux camps: qui exercerait son hégémonie sur l’Afrique centrale? En outre, il y eut une forte implication de l’ONU, que les nouveaux dirigeants appelèrent à l’aide. La Belgique et l’ONU entrent en jeu Dès le début de juillet 1960, le gouvernement Lumumba fut confronté à des mutineries dans diverses régions du pays. Le cadre et la troupe de l’Armée nationale congolaise ( ANC ) estimaient qu’ils étaient les seuls laissés pour compte de la fin de la colonisation. 11


La mutinerie de l’ancienne Force publique, devenue l’ANC, débuta à Léopoldville et à Thysville ( aujourd’hui MbanzaNgungu ) dès le 5 juillet. Très habilement, Lumumba détourna le mécontentement des militaires en accusant les officiers belges, maintenus en place en l’absence de cadres congolais, de tentative de complot contre lui. Les mutineries hostiles aux Belges se propagèrent au Katanga, au Kasaï et en Province orientale. Dès lors, à Bruxelles, le gouvernement de Gaston Eyskens dut faire face, en urgence, à un double problème: l’afflux de réfugiés belges à ­Léopoldville et la sécurité des autres ressortissants disséminés sur l’ensemble du territoire congolais. Le gouvernement belge décida de l’envoi de trois «compagnies de marche» 1 pour assurer la sécurité des Belges dans les endroits les plus menacés. Une opération au port de Matadi en particulier déclencha l’ire des autorités congolaises et le recours du Président et du Premier ministre au Conseil de sécurité des Nations unies, le 12 juillet 1960. Ce fut le début de l’internationalisation du problème congolais. Dès le lendemain, le secrétaire général Dag Hammarskjöld obtient du Conseil «une résolution demandant à la Belgique de retirer ses troupes du territoire de la République». Le 14 juillet, Kasa-Vubu, Président de la République, et Lumumba, Premier ministre, rompirent les relations diplomatiques avec la Belgique et demandèrent l’assistance militaire des Nations unies pour réorganiser l’ANC. L’éviction de Lumumba Du 22 juillet au 8 août, Lumumba entreprit des voyages aux ÉtatsUnis et en Afrique. Mais à son retour, ses relations avec le chef de l’État se refroidirent sensiblement. L’opposition de Kasa-Vubu fut provoquée par diverses décisions du Premier ministre: l’opération militaire de l’ANC menée au Sud-Kasaï contre les Baluba; le recours à l’aide soviétique; les accusations à l’égard de l’Église catholique et l’arrestation de Gabriel Makoso, rédacteur en chef du Courrier d’Afrique, favorable aux Bakongo. 12


Chapitre I

Lumumba : un défi et une menace pour les autorités de Léopoldville Lumumba en résidence surveillée, en prison et en fuite vers Stanleyville Dès juillet 1960, l’entourage du Premier ministre était divisé en deux tendances: l’une, modérée sur le plan du nationalisme, dont faisaient partie Joseph-Désiré Mobutu et Damien Kandolo; l’autre, extrémiste, regroupant autour de Lumumba notamment Antoine Gizenga, Anicet Kashamura, Jacques Lumbala et Bernard Salumu. La situation évolua très rapidement au début de septembre 1960, quand les amis et ennemis de Lumumba se départagèrent avant de s’opposer d’une manière définitive. Lumumba avait contre lui non seulement ceux qui avaient été exclus de la formation de son gouvernement, les Baluba, les Bayaka, les Bangala, mais également l’Abako 1 et certains journalistes, dont Gabriel Makoso du Courrier d’Afrique. Le ressentiment provoqué par l’expédition punitive lancée contre les Baluba du Kasaï était aussi très vif. Ses opposants à Léopoldville étaient déjà nombreux. Parmi ceux-ci figuraient, outre le Président de la République, Justin Bomboko et Joseph Iléo. Ils furent très vite rejoints par le colonel Joseph-Désiré Mobutu. Le rôle joué par Victor Nendaka fut aussi prédominant. Il était devenu l’un des principaux ennemis de Lumumba. En 1959, les relations entre les deux hommes étaient pourtant très bonnes; elles devinrent ensuite exécrables. En résumé, de la lutte pour l’indépendance, l’objectif était devenu la lutte pour le pouvoir. En fait, dès l’automne, le colonel Mobutu avait décidé de neutraliser à la fois Lumumba et Kasa-Vubu. À cet effet, selon Louis 19


Marlière 2 et André Lahaye 3, il avait pris préalablement contact avec les Américains par l’entremise de Larry Devlin, représentant de la CIA dans la capitale. Pour le brigadier-général Indar Jit Rikhye, en charge des affaires militaires du Congo à New York, le départ des représentants diplomatiques russes, tchèques et polonais, exigé et obtenu par Mobutu, avait permis aux autres représentations diplomatiques de développer une activité plus intense à Léopoldville. Rapidement, les Britanniques et les Américains confirmèrent leur appui à Mobutu. C’est ainsi que, le 12 septembre, Lumumba fut arrêté une première fois sur ordre du président Kasa-Vubu par la gendarmerie de Mobutu, mais il fut relâché par le général Victor Lundula, commandant de l’ANC, dans des circonstances jamais éclaircies. Après une deuxième arrestation, Lumumba s’évada et se plaça sous la protection de l’Opération des Nations unies au Congo ( ONUC ). Le 15 septembre, sa situation étant devenue très précaire, l’ex-Premier ministre fut mis en résidence surveillée. Le déroulement des événements de la mi-septembre est retracé dans un rapport d’enquête de l’Organisation des Nations unies 4: «Le 15 septembre, le lendemain du jour où le colonel Mobutu a annoncé la prise du pouvoir par les militaires, Lumumba s’est réfugié au mess des officiers ghanéens au camp principal de ­l’armée, à Léopoldville. Pendant toute la journée, sa vie fut gra­ vement menacée, alors que des troupes ghanéennes harcelées maintenaient à distance des soldats révoltés de la tribu hostile des Baluba qui affirmaient que leurs familles avaient été victimes de la guerre civile du Kasaï. Après que le représentant spécial du Secrétaire général fut intervenu personnellement sur place, la gendarmerie nationale et les troupes ghanéennes ont pu escorter M. Lumumba hors du camp à la tombée de la nuit. Dans l’après-midi, le chef de l’État et Joseph Iléo, Premier ministre désigné, prièrent une nouvelle fois l’ONUC d’arrêter Lumumba. Le représentant spécial refusa fermement de satisfaire à cette demande, faisant notamment remarquer qu’une telle mesure était totalement étrangère au mandat de l’ONUC.» Dès le 23 septembre, à la demande de Kasa-Vubu, Dupret, consul général de Belgique à Brazzaville, avait envoyé un message 20


Lumumba : un défi et une menace pour les autorités de Léopoldville

à Bruxelles: «Le Président vous prie de demander à Tshombe s’il peut envoyer M’Polo et Gizenga au Katanga pour y être jugés.» Un nouveau télégramme de Brazzaville annonçait complé­ mentairement: «Un avion spécial Sabena quittera Léopoldville demain samedi quatre heures du matin pour transférer plusieurs détenus à prison Eville notamment Gizenga et M’Polo 5.» Le lendemain, Lahaye, ancien agent de la Sûreté coloniale, fut désigné comme conseiller de Damien Kandolo, commissaire général adjoint de l’Intérieur. Il fit savoir à Dupret que le transport des prisonniers n’avait pas eu lieu, ceux-ci ayant été remis en liberté par les forces de l’ONUC. Ce non-départ indiquait en tout cas la volonté de Kasa-Vubu et des commissaires généraux d’éloigner Lumumba et ses partisans de Léopoldville. Le 10 octobre, des membres de l’Armée nationale congolaise se présentèrent au siège de l’ONUC et produisirent un mandat d’arrêt décerné à l’encontre de Patrice Lumumba, député. Le mandat était basé sur un article du Code pénal réprimant les paroles incitant la population à se dresser contre l’autorité établie. Les représentants de l’ANC exigèrent que la garde de l’ONUC autour de sa résidence reçoive l’ordre de faciliter son arrestation. La position de l’ONUC fut la suivante: «Eu égard à sa neutralité, [ elle ] ne changera[ it ] les ordres permanents d’aucun garde pour faciliter l’exécution d’un mandat qui, à première vue, n’[ était ] pas valable 6.» L’ONUC considérait en effet que l’action entreprise par l’ANC était irrégulière, étant donné qu’elle ne se conformait pas aux dispositions de la Loi fondamentale qui imposait une procédure parlementaire pour autoriser l’arrestation d’un député. Les Nations unies firent comprendre à Mobutu qu’une telle action directe contre une personnalité dirigeante était diffi­ cilement conciliable avec le but déclaré de leur mission, qui était de réunir toutes les factions politiques pour négocier un règlement national. Dès le 11 octobre, Lumumba est dans l’ancienne résidence du gouverneur général. Gardée par des militaires ghanéens, encerclée par des soldats congolais qui instaurèrent un contrôle sur toutes les personnes y entrant ou en sortant. La situation évolua dans la capitale et à la fin du mois d’octobre, de nombreux dirigeants lumumbistes furent arrêtés par l’ANC, 21


notamment Jean-Pierre Finant ( Président de la Province orientale ), Anicet Kashamura, Jason Sendwe et Cléophas Kamitatu, mais ils furent immédiatement libérés suite à l’intervention de l’ONUC. Devant ces difficultés grandissantes, les autorités de Léopoldville se préoccupèrent très rapidement du sort à réserver à Lumumba. À la mi-novembre, de nombreux rapports parvinrent au siège de l’ONUC, montrant que le Collège des commissaires généraux faisait de nouveaux efforts pour arrêter Lumumba. Dès lors, les Nations unies renforcèrent la garde autour de sa résidence, toujours surveillée par les soldats de l’ANC, ce qui n’empêchait pas Lumumba de la quitter régulièrement et de tenir des meetings en ville. Justin Bomboko, président du Collège des commissaires généraux, intervint personnellement à New York auprès du général Rikhye afin d’obtenir l’arrestation de Lumumba. Un accord fut conclu: Lumumba serait mis en résidence surveillée plus discrète et rendu politiquement inactif. Le président Kasa-Vubu obtint un succès personnel à l’Assemblée générale des Nations unies le 22 novembre. À cette date, sa délégation fut reconnue par New York comme représentant officiellement le Congo au sein de cette institution. Des rumeurs précises commencèrent à circuler sur l’intention de Lumumba de fuir vers la Province orientale, où était installé un gouvernement à sa dévotion. Celui-ci était dirigé par Antoine Gizenga, président du Parti solidaire africain, vice-Premier ministre révoqué ayant quitté Léopoldville en septembre. C’est le dimanche 27 novembre 1960 que Lumumba décida de rejoindre Gizenga à Stanleyville. Il quitta sa résidence vers 22 heures 7. Le général Rikhye donna ultérieurement sa version de ces événements: «Après son retour de New York, le président Kasa-Vubu a organisé un banquet au palais présidentiel de Léopoldville dans la nuit du 27 au 28 novembre. Nous étions tous présents à ce banquet. Il a plu violemment pendant une grande partie de la nuit. Pendant cette violente pluie, les gardes ghanéens – il y avait en effet à ce moment-là des gardes des Nations unies devant l’entrée 22


Lumumba : un défi et une menace pour les autorités de Léopoldville

du domicile de Lumumba – ont vu une grande automobile noire s’avancer vers eux… Ils avaient souvent vu cette voiture entrer et sortir avec le même chauffeur. Ce n’était pas la voiture personnelle de M. Lumumba mais une voiture qui entrait fréquemment chez lui. Ils ont donc laissé entrer l’automobile qui est ressortie peu après avec trois personnes.» Le général ajouta que la garde de l’ONUC ne contrôlait que les personnes qui entraient dans la résidence pour «s’assurer que ces personnes ne portaient pas d’armes, de couteaux, d’épées, de bombe ou tout autre objet similaire et éviter ainsi que M. Lumumba ne coure un danger personnel. Nous n’avons jamais contrôlé les sorties. Et, comme je l’ai mentionné plus haut, même si M. Lumumba avait été reconnu lorsqu’il a quitté son domicile, il n’aurait pas été arrêté car il était libre d’aller et venir comme il l’entendait. C’est d’ailleurs ce qu’il faisait. Il avait déjà quitté son domicile un certain nombre de fois.» En terminant sa déposition, le général déclara que les rumeurs sur le départ de Lumumba devenant persistantes, il avait ordonné dans la journée du lendemain une visite complète de la maison. Constatant que Lumumba avait quitté sa résidence, il en avait alors avisé New York. Dès le lendemain, des représentants du Collège des commissaires vinrent demander à l’ONUC de leur fournir son assistance pour retrouver Lumumba: «L’ambassadeur Dayal, représentant spécial du Secrétaire général à Léopoldville, a donné des ordres très clairs aux autorités militaires de l’ONUC, précisant qu’en aucun cas, l’ONUC ne devra porter aide ou assistance ni aux poursuivants ni aux poursuivis.» Le général assurerait ultérieurement à la Commission d’enquête que «ces instructions avaient été strictement respectées». En résumé, la soirée du 27 novembre fut très orageuse et les sentinelles ghanéennes et congolaises furent moins attentives. Lumumba, caché derrière le siège avant d’une «station-wagon», sortit de sa résidence et passa sans difficulté le double contrôle. Il se rendit directement à l’ambassade de Guinée, où il fut rejoint par son ami Bernardin Diaka. Ils quittèrent l’ambassade peu après à bord d’une Peugeot bleue lui appartenant. Au départ, il était en com­pagnie d’un officier guinéen et de quelques fidèles batetela 23


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L’itinéraire de la fuite de Lumumba vers Stanleyville

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Lumumba : un défi et une menace pour les autorités de Léopoldville

qui l’escortèrent. Son but était de gagner le Kwilu par la route le plus rapidement possible et, de là, de continuer vers Stanleyville. Ils seront rejoints en cours de route par la chevrolet transportant son épouse Pauline et son jeune fils Roland. La fuite vers Stanleyville Au départ de Léopoldville, un petit convoi s’était formé, composé d’une Chevrolet ( appartenant au Premier ministre ), de la Peugeot bleue de Lumumba et d’une Fiat. Les fugitifs cherchèrent à gagner Kenge au plus tôt. Premier incident: les voitures furent bloquées au passage de la rivière Kwango où il fut impossible de trouver des passeurs, étant donné l’heure tardive 8. Le convoi parvint finalement à passer la rivière à l’aube du 28 novembre. Les occupants de la Fiat, partis en éclaireurs, furent arrêtés par des militaires ANC. Ces derniers les conduisirent au camp de Kenge et les enfermèrent. Lumumba, informé de l’infortune de ses compagnons, parvint à les faire libérer. Le convoi ayant été ravitaillé, il gagna Masi-Manimba dans l’après-midi et ensuite Bulungu, où il arriva le 29, tôt dans la matinée. Immédiatement, Lumumba fut reconnu et contraint de tenir un meeting devant une foule enthousiaste. Il déclara notamment qu’il n’allait pas à Stanleyville comme un fuyard, mais qu’il s’y rendait afin de libérer le territoire national et d’assurer la protection du peuple. Il eut beaucoup de peine à quitter la foule qui l’entourait et perdit ainsi un temps précieux. Que se passa-t-il pendant ce temps-là à Léopoldville? «Le grand lapin s’est échappé 9». L’alerte fut donnée le soir du 27 septembre à l’état-major de l’ANC, mais ce ne fut que le len­ demain, dans la matinée du 28, que le président Kasa-Vubu fut mis au courant. En effet, les principales autorités de Léopoldville s’étaient rendues à Brazzaville pour commémorer l’indé­ pendance de la République du Congo, ex-territoire français. Les heures passèrent et les réactions se firent attendre. Pendant ce temps, l’ancien Premier ministre entama une course éperdue à travers le Kwango-Kwilu. C’est de Bulungu que parvinrent à Léopoldville les premiers renseignements sur sa fuite. Roulant de nuit, les fugitifs arrivèrent à Mangai, après avoir 25


traversé la forêt dans des conditions difficiles. Lumumba fut même arrêté par un barrage de militaires de l’ANC, à qui il eut grand-peine à prouver qu’il était bien l’ancien Premier ministre. Arrivé à Mangai tôt dans la matinée du 30, il s’adressa à nouveau à la foule. Il y retrouva d’autres fugitifs, notamment Pierre Mulele, Remy Mwamba, Valentin Lubuma et Gabriel Yumbu 10. Ils repartirent dans l’après-midi pour gagner Brabanta, qu’ils quittèrent en soirée. Le 1er décembre à 5 heures du matin, ils arrivèrent à Port-Francqui ( aujourd’hui Ilebo ), où un déjeuner avait été organisé en leur honneur par l’administrateur du territoire. C’est là qu’eut lieu la première tentative d’arrestation des fugitifs par des soldats de l’ANC fidèles au gouvernement de Léopoldville. Le commandant du camp militaire de Port-Francqui, un Muluba, était, semble-t-il, décidé à retenir les fugitifs. Les Ghanéens de l’ONUC furent alertés et firent libérer Lumumba. Il put ainsi continuer sa route avec son escorte vers Mweka, où il arriva en fin de matinée. À Mweka, même scénario: la foule voulut absolument entendre «son» Premier ministre alors que ses compagnons le pressaient de continuer sa route. Un contact téléphonique fut pris à Mweka avec le Président de la province du Kasaï, Barthelemy Mukenge, qui se trouvait à Luluabourg ( aujourd’hui Kananga ). Celui-ci promit un avion à Lumumba pour se rendre de Mweka à Stanleyville. Il retéléphona quelques heures plus tard pour dire que l’armée était divisée et qu’il lui était impossible d’envoyer un avion. Lumumba tint son meeting à Mweka et, vers 16 heures 30, il fut prévenu de l’arrivée de militaires en provenance de Port-Francqui, dont il y avait tout lieu de craindre les intentions peu amicales. Il partit précipitamment et, au lieu de se diriger vers Luluabourg, comme ses poursuivants auraient pu le croire, il bifurqua vers Lodi. Après des crevaisons qui retardèrent leur progression, la plupart des fugitifs se retrouvèrent à Lodi, sur la rive du Sankuru, vers 23 heures. Les passeurs ne répondirent pas à leurs appels. Lumumba et Pierre Mulele décidèrent de traverser en pirogue. Après deux heures de palabres, ils parvinrent à convaincre les passeurs d’aller chercher les fugitifs restés sur l’autre rive. 26


Lumumba : un défi et une menace pour les autorités de Léopoldville

Entre-temps, les militaires envoyés à sa poursuite rejoignirent la rivière Sankuru. Le vendredi 2 décembre vers 3 heures du matin, Lumumba retraversa la rivière pour récupérer sa femme Pauline et son fils Roland. Il fut finalement arrêté à Lodi par les soldats de l’ANC lancés à sa poursuite au départ de Port-Francqui. Lumumba leur parla. On crut un moment qu’il allait les faire fléchir, mais il fut maintenu en état d’arrestation. Ils l’emmenèrent à Mweka, où ils arrivèrent vers 5 heures du matin 11. Profitant d’un moment de relâchement de la vigilance des gardes de l’ANC, le chauffeur de Lumumba fonça avec le véhicule dans lequel il se trouvait vers le camp des Casques bleus ghanéens. Mais il n’y fut pas accueilli: un lieutenant aurait refusé de le prendre sous sa protection. Pendant ce temps, à Léopoldville, le Collège des commissaires généraux fut aussi mis au courant des circonstances de la fuite de Lumumba. Il chargea immédiatement Gilbert Pongo 12, capitaine de l’ANC 13, de diriger les recherches pour le retrouver, ainsi que ses amis. Celui-ci partit pour Luluabourg avec une escorte armée fournie sur ordre de Victor Nendaka 14. Il avait pour mission de ramener Lumumba aussi rapidement que possible à Léopoldville. Il partit pour Luluabourg en fin de matinée dans un DC-3 d’Air Congo et de là voulut se rendre à Port-Francqui. Mukenge, qui avait eu des contacts téléphoniques avec Lumumba, fit tout pour empêcher Pongo de s’y rendre. Il fut consigné avec l’équipage de l’avion à l’hôtel L’Oasis, gardé par des Ghanéens de l’ONUC, mais, grâce à certains membres de l’ANC favorables à Léopoldville, Pongo réussit à partir le jour même pour Port-Francqui et de là pour Mweka, où Lumumba lui fut livré par les militaires fidèles à Mobutu. Entre-temps, Joseph Okito, deuxième vice-président du Sénat, et Pakassa, officier de l’ANC, qui, au départ, faisaient partie du convoi de Lumumba, avaient été arrêtés le 30 novembre alors qu’ils se dirigeaient vers Tshikapa. Ils furent ramenés à Léopoldville avec Maurice M’Polo, ministre de la Jeunesse et des Sports, éphémère chef d’état-major de l’ANC, qui avait été arrêté à Mushie.

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Retour de Lumumba à Léopoldville Au cours de la réunion du Collège des commissaires généraux du 2 décembre 1960, François Kungula, commissaire adjoint à la fonction publique, annonça au Conseil que le secrétariat général de son département avait reçu un télégramme du capitaine Pongo dans lequel il annonçait qu’il se préparait à ramener Lumumba et ses compagnons de fuite à Léopoldville. Après vérification de l’information, «un grand nombre de membres proposèrent que Pongo soit promu à un grade supérieur de l’armée en fonction de ses mérites 15». La séance fut levée à 17 heures pour permettre à certains commissaires généraux de se rendre à l’aérodrome de Ndjili pour assister au débarquement du «grand lapin». Peu après 17 heures, le DC-3 d’Air Congo se rangea au bout de la piste de l’aéroport. Triomphant, Pongo sortit le premier de l’appareil. Lumumba parut ensuite, les mains liées derrière le dos, en chemise blanche, les manches relevées. Il était suivi de plusieurs de ses anciens ministres. D’après la presse, «Lumumba fut traité sans aucun égard par les soldats et la foule hostile». Lumumba donnait une impression de lassitude et d’abattement complet. Il n’eut aucune réaction devant les deux journalistes belges, Jacques Cordy du journal Le Soir et José Perraya de La Dernière Heure, et un photographe portugais qui étaient présents. Se trouvant à 2 mètres de Lumumba, Cordy fit le récit suivant de cette arrivée 16: «Hirsute, le visage tuméfié, la barbiche à demi arrachée, la ­chemisette blanche salie, les bras enserrés dans des cordes, mais le regard perçant malgré les lunettes perdues, Patrice Lumumba a été brutalement descendu de l’avion, un DC-3 venu de PortFrancqui. Il fait chaud, lourd, cet après-midi du 2 décembre 1960, sur le tarmac de l’aérodrome de Ndjili-Léopoldville, à l’écart des bâtiments civils, dans l’enceinte militaire de l’aéroport. Nous sommes là, deux journalistes belges et un photographe portugais, mystérieusement avertis de l’arrivée du prisonnier et de ses compagnons rattrapés au Kasaï à plus de 600 km de là, repérés par un hélicoptère envoyé par le colonel Mobutu. Lumumba nous contemple en silence. Le photographe prend discrètement 28


Lumumba : un défi et une menace pour les autorités de Léopoldville

quelques clichés, sous l’œil courroucé des policiers militaires ­casqués de l’escorte. Long moment de flottement. Les soldats hostiles brûlent d’envie de nous chasser. Mais, apparemment surpris de notre présence, ils ne savent que faire. De même, nous ne savons que dire à Lumumba, qui, visiblement, nous a reconnus. Il semble à la fois exténué et extraordinairement haineux. À l’évidence, il a été sauvagement battu par ses geôliers dans l’avion. Déjà, son sort ne fait pas de doute.» Cordy et le photographe prirent des photos. Leurs clichés firent le tour du monde 17. Très rapidement, Lumumba fut poussé sans ménagement dans la benne d’un camion de l’ANC. Dans son rapport au Conseil de sécurité du 5 décembre 1960, Dag Hammarskjöld confirma certains de ces faits 18: «Les observateurs de l’ONU ont signalé que, lorsqu’il est sorti de l’avion à l’aéroport de Ndjili, il n’avait plus ses lunettes et que sa chemise était tachée; sa chevelure était en désordre; il avait un caillot de sang sur la joue et il avait les mains liées derrière le dos. On l’a brutalement fait monter à coups de crosse dans un camion de l’ANC qui est parti aussitôt. D’après la presse, M. Lumumba a été emmené à la résidence du chef d’état-major de l’armée congolaise où des soldats congolais l’ont entouré et ont braqué sur lui leur fusil-mitrailleur. Le chef d’état-major de l’armée congolaise n’a pas voulu le voir et a donné l’ordre de l’emprisonner au camp de Binza, où il a été incarcéré pour la nuit.» Les faits furent sensiblement différents, selon Jacques Cordy, qui suivit le convoi jusqu’à la résidence de Mobutu à Binza 19 et décrivit la scène: «Je le verrai encore un instant et une heure plus tard, au pied des marches qui mènent à la résidence de Mobutu. On l’a assis à même le plancher dans le camion qui l’a amené de l’aéroport. Au moment où Lumumba fut mis en sa présence, Mobutu le toisa du haut des marches de sa maison 20. Toute la scène fut extrêmement rapide, elle n’a pas duré cinq minutes. Quelqu’un lui saisit les cheveux, lui redresse la tête de force. D’en haut, le colonel le fixe sans mot dire. Puis, sur un geste, fait démarrer le camion. La scène a été rapide, mais des cameramen ont surgi…» 29


Table des matières

Remerciements

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Avant-propos

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Introduction : Le Congo au lendemain de l’indépendance I Lumumba : un défi et une menace pour les autorités de Léopoldville Lumumba en résidence surveillée, en prison et en fuite   vers Stanleyville Pour les opposants de Lumumba, son indispensable   disparition de la scène politique II Le transfert de Lumumba de Thysville au Katanga La préparation de l’opération de transfert à Léopoldville Le transfert de Lumumba du camp Hardy de Thysville   vers Moanda Dans le DC-4 de Moanda vers Élisabethville L’arrivée de Lumumba au Katanga III L’exécution de Lumumba et de ses compagnons De l’aérodrome de la Luano à la maison Brouwez Lumumba en détention dans la maison Brouwez Palabres ministérielles et décision quant au sort   des prisonniers Vers le lieu d’exécution L’exécution de Lumumba, d’Okito et de M’Polo dans   la soirée du 17 janvier 1961

11

19 19 30 57 57 59 63 68 91 91 93 103 108 112


IV La découverte et l’élimination des corps des suppliciés La journée du 18 janvier 1961 La découverte des corps par des villageois Le déterrement des corps dans la nuit du 18   au 19 janvier 1961 Second déterrement, dépeçage et crémation des corps   du 21 au 23 janvier 1961

129 129 141

V L’annonce officielle de la mort de Lumumba La mise en scène de la mort des prisonniers L’épilogue: l’annonce officielle de la mort   des prisonniers Les réactions onusiennes

159 159

Conclusions : Les responsables de la mort de Lumumba La nécessaire disparition de Lumumba La responsabilité des autorités de Léopoldville:   la décision de transférer Lumumba La responsabilité des autorités katangaises: l’exécution   des prisonniers Et la Belgique, dans cet imbroglio? Omniprésente,   mais pas responsable

167 167

Biographies

175

Liste des principaux témoignages relatifs à « l’enquête sur la mort de Patrice Lumumba »

183

Biographie de l’auteur

187

144 147

161 163

168 169 170


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