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Notes de lecture

Philippe Antoine, Danièle Méaux et Jean-Pierre Montier dir., La France en albums (xixe-xxie siècles)

Paris, Hermann, 2017, 384 pages
Patricia Limido
Référence(s) :

Philippe Antoine, Danièle Méaux et Jean-Pierre Montier dir., La France en albums (xixe-xxie siècles), Paris, Hermann, 2017, 384 pages

Texte intégral

1La France en albums réunit les actes d’un colloque tenu à Cerisy en juillet 2016. Les études interrogent la manière dont des livres illustrés, faits « de mots et d’images » s’avèrent, selon l’expression de Danièle Méaux, des livres-territoires témoignant de la réalité historique, géographique, touristique et patrimoniale de la France. Depuis les Voyages pittoresques du Baron Taylor jusqu’à la mission photographique de la Datar en passant par La France à table et Vive la France de Henri Cartier-Bresson et François Nourissier, cette littérature phototextuelle permet de former une image prismatique de la France au cours des deux derniers siècles.

2De multiples portraits se profilent et esquissent des physionomies régionales ou nationales, à partir de points de vue très divers et parfois inattendus comme la gastronomie, le cyclisme ou le terrain vague. La grande diversité des médiums utilisés pourrait laisser craindre une hétérogénéité insurmontable. En effet, le récit de voyage, le magazine périodique, le guide touristique, le livre d’artiste ou livre de photographe, la bande dessinée ne se prêtent pas aux mêmes analyses, ni aux mêmes enjeux. De même l’implication des auteurs, écrivains, graveurs, dessinateurs et photographes, des éditeurs et des diffuseurs est variable non seulement en elle-même, mais aussi au cours des époques. Néanmoins comme le souligne Philippe Antoine, c’est la constance de l’interrogation identitaire qui parvient à donner une cohésion à ces livres illustrés. Que ce soit à travers l’itinéraire touristique, l’inventaire patrimonial ou l’enquête photographique, cette littérature pointe une certaine idée de la France passée et à venir. Elle « invente un pays » (p. 350), elle le donne à voir à travers différentes illustrations où le passé affleure, nostalgique ou mythologique, enfin elle trace des perspectives sur le devenir des paysages et des villes, laisse miroiter des possibilités de transformation. Dans tous les cas, se dégage une réflexion sur le territoire, son identité, ses valeurs et ses pratiques. S’il s’agit de dégager une identité, il y va moins selon Jean-Pierre Montier d’une « essence immobile » que du « mouvement par lequel le même se reconnaît dans le divers et le divers s’intègre au même » (p. 198). De ce fait, l’ensemble des études menées démontre que ces différentes publications, aussi diverses soient-elles, participent de l’histoire des représentations puisqu’elles répètent ou redéfinissent des formes symboliques, des codes esthétiques, des conventions littéraires autant que des stéréotypes indispensables pour que chaque époque se situe et se repositionne. C’est aussi pourquoi les contributions qui travaillent à ces portraits ponctuels de la France soulignent à la fois les modalités matérielles de l’illustration et les manières à chaque fois singulières d’articuler le texte et les images, et les enjeux politiques, touristiques et économiques que les images sous-tendent.

3Le recueil s’organise en quatre parties thématiques et historiques. La première partie s’intéresse à la constitution historique du livre illustré depuis les guides de voyages et l’invention des voyages pittoresques. L’inventaire du patrimoine architectural et paysager favorise « l’invention de la province pittoresque et romantique » (p. 37) et participe de la diffusion d’un modèle esthétique de la ruine et d’une ancienne France éternelle et immobile dont les motifs iconographiques privilégiés (vallée, château, petits peuples) sont largement servis par le dispositif lithographique. Un autre article s’efforce de départager les poids respectifs du pittoresque, du folklorique et du vernaculaire qui s’attache à partir des années soixante-dix aux formes de la banalité du territoire grâce à de nouvelles approches photographiques (p. 68). L’entre-deux-guerres et la reconstruction donnent lieu également à des campagnes photographiques à des fins patriotiques et de valorisations patrimoniales, tel le classement de la ville du Havre par l’Unesco. Il apparaît clairement que l’alliance du texte et de l’image remplit une fonction cognitive autant qu’émotionnelle et participe activement à la construction politique et touristique de topoï, agents d’identité locale et grands véhicules graphiques de l’imaginaire territorial.

4La deuxième partie aborde les itinéraires touristiques à travers des textes (Le Paris-Guide de 1867 édité à l’occasion de l’Exposition universelle, et Paris que j’aime de 1956), à travers des moyens de transport (cyclisme et moto) ou des pratiques (la gastronomie vue à travers quarante années de La France à table).

5La troisième partie explore explicitement la question des relations entre les mots et les images dans les livres illustrés. Anne Reverseau interroge le rôle des écrivains dans la construction des identités nationales, car ils sont souvent sollicités comme « ambassadeurs de leur pays » (p. 175). La collaboration fructueuse entre écrivain et photographe est poursuivie à travers le dialogue de Henri Cartier-Bresson et François Nourissier, les décalages de perspectives de Cendrars et Doisneau autour des terrains vagues, et pour les dernières décennies, Philippe Antoine s’attache à des enquêtes plus marginales menées à deux mains sur des lieux et des hommes sans qualités (p. 219). Ainsi Michel Butor et Bernard Plossu autour de la mission photographique Transmanche ou François Bon et Jérôme Schlomoff qui empruntent le Paris-Nancy chaque jeudi de septembre 1998 à avril 1999. Ce sont des territoires délaissés, des mondes vus de biais, « vus par l’arrière » et selon des médiums, des graphies et des voix plurielles qui donnent lieu à « la collision de régimes fictionnel et référentiel ». Ces nouveaux dispositifs peuvent désorienter le lecteur, mais sont aussi d’autres moyens, voire d’autres gestes politiques visant à réinventer le regard et à réinterpréter le réel.

6La quatrième partie est entièrement consacrée à la photographie. Elle propose un entretien avec Bernard Latarjet, un des fondateurs de la mission de la Datar, et un autre du photographe Jean-Louis Garnell qui a participé à cette entreprise. Les autres études commentent différentes enquêtes photographiques, telles que celle de Geoffroy Mathieu et Bertrand Stofleth sur le GR 2013 ou encore par le projet « France(s) Territoire liquide », initié en 2011. On voit se dégager une attention nouvelle aux territoires, à leur fragilité, à l’usure, aux cicatrices autant qu’à la banalité, par suite les éléments d’une nouvelle esthétique, plus proche d’une « indifférence » que d’un goût ou d’une empathie. Ces livres d’images manifestent une autre manière de voir le paysage et le territoire, un « dépaysagement » selon Lacoue-Labarthe, qui interroge à nouveaux frais la place de la représentation, par suite de l’artialisation dans la perception (p. 291).

7Ce volume très riche et très dense, car il repose sur une véritable interdisciplinarité (entre littéraires, historiens, géographes, photographes et plasticiens) est remarquablement illustré, mais surtout il renouvelle les études sur le paysage par cette entrée qu’est le « livre-territoire ». S’il convient de maintenir une différence entre les deux, il reste que le paysage se réinvente régulièrement à travers les investigations menées sur le territoire ou les espaces régionaux. Les différentes contributions soulignent le rôle déterminant de la représentation littéraire et iconique dans l’invention du regard : donner à voir, donner à penser, travailler sur et avec la mémoire collective, autant d’enjeux politiques qui montrent que le genre est promis à un bel avenir.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Patricia Limido, « Philippe Antoine, Danièle Méaux et Jean-Pierre Montier dir., La France en albums (xixe-xxie siècles) »Focales [En ligne], 2 | 2018, mis en ligne le 01 juin 2018, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/focales/1210 ; DOI : https://doi.org/10.4000/focales.1210

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