9782815310352 ext RUSTICA

Page 1


SOMMAIRE Préface d’Hubert Reeves. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

PREMIÈRE PARTIE Le rôle indispensable de l’abeille pour la nature et pour l’homme Chapitre 1 Comprendre l’abeille Description d’un insecte hors norme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 La colonie, une société complexe. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Chapitre 2 Un contrat de nature millénaire entre les plantes à fleurs et les abeilles Aux origines de la pollinisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Des stratégies de survie déployées aussi bien par les insectes que les plantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 Agriculture et biodiversité : les vertus de la pollinisation. . . . 28 Chapitre 3 La dépendance humaine vis-à-vis des abeilles Des amandiers de Californie…. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 …aux cerisiers du Sichuan. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 D’un service naturel initialement gratuit à la réalité de notre assiette. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

DEUXIÈME PARTIE Le temps des périls Chapitre 1 La multiplication des dangers qui pèsent sur les abeilles Maladies et prédateurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 Tribune n° 1 : Les perspectives de la lutte contre le varroa, par Yves Le Conte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Un environnement anormalement perturbé. . . . . . . . . . . . . . . 47 Tribune n° 2 : L’action synergique des pesticides, par Marc-Édouard Colin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

ABEILLES.indd 3

18/07/2017 09:14


Chapitre 2 L’apiculture, une activité sous pression L’indispensable élevage des reines. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 L’épineuse question de la génétique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 Tribune n° 3 : Les pratiques apicoles et le déclin de l’abeille domestique, par David G. Biron et Lionel Garnery. . . . . . . . . . 72 L’enjeu de la qualité des cires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 Des doutes grandissants sur la qualité des miels . . . . . . . . . . 77 Tribune n° 4 : La chute de production du miel français, par Bernard Saubot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 La responsabilité des apiculteurs ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 Chapitre 3 Le péril insidieux de la désinformation et de l’ignorance Déformations médiatiques et légendes urbaines. . . . . . . . . . . 83 Des organisations qui en tirent parti. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89

TROISIÈME PARTIE Quel avenir pour les abeilles ? Chapitre 1 Des craintes pour l’avenir La multiplication des effets cocktail. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 L’évolution génétique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 De nouveaux parasites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 Chapitre 2 Les conditions pour réussir à préserver les abeilles Des solutions globales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 Des solutions à l’échelle individuelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 Conclusions. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 5 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 9 Glossaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123 Sigles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126 Remerciements. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127

ABEILLES.indd 4

18/07/2017 09:14


Préface Sur la planète, partout ou presque, les pollinisateurs sont en difficulté, surtout les plus petits, c’est-à-dire les insectes dont les abeilles, qu’elles soient semi-domestiques ou sauvages… Au point que des chercheurs travaillent à concevoir des drones bio-inspirés. Mais on est loin d’un résultat satisfaisant. Ce livre s’intéresse à l’espèce Apis mellifera, l’abeille européenne dont les lointains ancêtres viennent, comme nous, d’Afrique, celle qui nous fournit le miel que nul drone pollinisateur, s’il est un jour commercialisé, ne saurait fabriquer. L’auteur est bon pédagogue. Le sommaire de l’ouvrage témoigne de ses indéniables connaissances. Les périls auxquels est confrontée cette abeille sont énumérés et déclenchent une envie d’agir dont certaines organisations s’emparent sans avoir la compétence et la probité nécessaires. Le monde associatif est une nébuleuse qu’il faut explorer avec grande vigilance ! Puisque tout est dit dans cet ouvrage sur Apis mellifera, je voudrais faire d’elle une ambassadrice de la biodiversité auprès des lecteurs. Car ce rôle indispensable de pollinisation qu’elle assure est, pour l’humanité, bien supérieur à celui de fabricante de miel. Et ce rôle est rempli par d’autres espèces, toutes en danger. Alors oui, Apis mellifera met la notoriété que ce livre va lui assurer au service d’une cause primordiale : la préservation du monde des pollinisateurs.

5

ABEILLES.indd 5

18/07/2017 09:14


■■ D’abord ambassadrice de ses cousines sauvages

L’apiculture entraîne la multiplication des ruches au désavantage des espèces d’abeilles sauvages, meilleures pollinisatrices mais victimes à la fois du nombre d’abeilles semi-domestiques et de la transmission des maladies affectant les colonies des ruches. Si Apis mellifera est en péril, elle bénéficie néanmoins de l’attention que lui portent les humains pour son miel. ■■ Ambassadrice des autres insectes pollinisateurs

Apis mellifera appartient à un ordre d’insectes : les hyménoptères. D’autres insectes sont d’actifs pollinisateurs, certaines mouches, les bourdons et les papillons. Leurs populations sont aussi en régression : ce sont des espèces menacées. ■■ Ambassadrice de mammifères et d’oiseaux

Ce ne sont pas des animaux auxquels on pense spontanément quand on parle pollinisation. Pourtant plusieurs centaines d’espèces d’oiseaux remplissent également cette mission. Les plus connus ne sont pas européens : ce sont les colibris. Sur notre continent, citons des passereaux comme les fauvettes, ou encore les chauves-souris (même si, en matière de pollinisation, les espèces tropicales sont plus efficaces). On dit que certains rongeurs participent aussi au phénomène. ■■ Ambassadrice des fleurs domestiques et sauvages

Une sorte de contrat naturel lie les fleurs et leurs pollinisateurs. Tout le monde est gagnant. Il permet le maintien de la diversité de la flore sauvage. Ce service gratuit accompli par les pollinisateurs assure des productions agricoles destinées à la consommation humaine en fruits et légumes. Il conditionne donc notre santé, notre vitalité… Le déclin de tous les pollinisateurs est un signal d’alarme.

6

ABEILLES.indd 6

18/07/2017 09:14


Ce livre dédié à Apis mellifera est un atout de plus en faveur de la défense de la biodiversité dont nous faisons partie et dont nous dépendons.

Hubert Reeves Astrophysicien Président d’honneur de l’association Humanité et Biodiversité

7

ABEILLES.indd 7

18/07/2017 09:14


ABEILLES.indd 8

18/07/2017 09:14


Introduction L’abeille est l’un des insectes les plus étudiés depuis l’Antiquité. Il fascine par la sophistication de son organisation aussi bien que par le goût et les propriétés de ses produits. Une nouvelle facette est dernièrement venue se rajouter à cette image, celle d’un insecte fragile, témoin de bouleversements dans notre environnement. Dans les mines, autrefois, les canaris sonnaient l’alarme : la fin de leur chant indiquait la toxicité de l’air et l’urgence pour les travailleurs de regagner la surface. Le parallèle avec l’abeille est pertinent. Si le canari a aujourd’hui cédé la place à des systèmes d’alarmes sophistiqués, d’autres animaux servent encore de bio-indicateurs pouvant informer l’homme quant à la toxicité de son environnement. Les truites, par exemple, beaucoup plus sensibles à la pollution que d’autres poissons des rivières, sont parfois placées en fin de chaîne du processus de recyclage des eaux usées. Si elles développent des maladies, subissent des baisses de fertilité ou changent de sexe, alors l’homme sait qu’il doit revoir et améliorer son système de retraitement des eaux. L’abeille fait également office de bio-indicateur en différents endroits, comme des sites industriels. On analyse les pollens qu’elle ramène avec elle, on prélève des butineuses pour vérifier que le contenu de leur estomac n’est pas contaminé. Enfin, on observe si, à moyen terme, les ruches survivent dans ces endroits. Actuellement, pas un jour ne passe sans un article sur les abeilles au sens large. Cette préoccupation ne se cantonne pas à l’Europe et aux États-Unis. Tous les continents déplorent les difficultés

9

ABEILLES.indd 9

18/07/2017 09:14


rencontrées par ces petits insectes, ou les apiculteurs qui les suivent. Cet engouement des médias et de l’opinion publique véhicule cependant certaines idées reçues ou imprécisions qu’il convient ici de mettre au clair. Une supposée disparition des abeilles serait regrettable à de très nombreux titres. Toute espèce qui s’éteint définitivement de la planète est une perte atroce, d’autant plus si elle est le résultat direct ou indirect de l’action de l’homme. Elle marque la disparition du fruit de millions d’années d’évolution, d’un patrimoine universel. Par ailleurs, l’abeille partage une longue histoire commune avec l’homme, le miel qu’elle fabrique ayant longtemps constitué l’unique produit sucrant de notre alimentation. Au fil de cette histoire, l’homme n’a pu que constater les bienfaits des produits de la ruche pour sa santé ou pour divers usages de la vie quotidienne. Très répandus dans l’Antiquité, ces produits ont soigné d’innombrables générations de blessés et de malades. La cire d’abeille a longtemps prolongé la vie de la bougie qui éclaire ce que l’homme ne peut voir dans l’obscurité. Elle a aussi calfeutré les coques de bateaux qui ont sillonné le monde. La propolis a imprégné les bandelettes des momies égyptiennes pour leur faire traverser les siècles… Bien que le secteur de l’apiculture reste de petite taille comparé à bien d’autres, il assure la survie de nombreux individus sur terre. Sur tous les continents hormis l’Antarctique, beaucoup de familles comptent sur cette activité économique. Mais au-delà des conséquences symboliques, historiques et socio-économiques entraînées par la disparition des abeilles, l’impact le plus fort serait celui sur l’équilibre de la vie humaine, animale et végétale. L’abeille est un maillon essentiel de la nature, par son activité d’insecte pollinisateur, qui assure la reproduction d’un nombre

10

ABEILLES.indd 10

18/07/2017 09:14


conséquent des plantes à fleurs recouvrant la surface de la terre. Aussi fondamentale que l’équilibre de la chaîne alimentaire terrestre et aquatique, aussi capitale que la relation entre les vers de terre et les micro-organismes du sol pour l’avenir de la vie végétale et nos cultures, la relation entre les pollinisateurs et les plantes est indispensable à l’équilibre naturel tel que nous le connaissons. Il s’agira donc, dans ce court ouvrage, d’effectuer un état des lieux des multiples maux qui affectent les abeilles et l’activité apicole pour mieux en dessiner les perspectives et remèdes éventuels.

11

ABEILLES.indd 11

18/07/2017 09:14


ABEILLES.indd 12

18/07/2017 09:14


Première partie

Le rôle indispensable de l’abeille pour la nature et pour l’homme

ABEILLES.indd 13

18/07/2017 09:14


Chapitre 1

Comprendre l’abeille Afin de mieux comprendre de quoi nous parlons, caractérisons ce petit insecte qui, outre son importance cruciale pour la biodiver­ sité et l’alimentation humaine, possède des caractéristiques propres et une organisation sociétale des plus originales et inspirantes.

DESCRIPTION D’UN INSECTE HORS NORME L’abeille est un insecte appartenant à l’ordre des hyménoptères, au même titre que les guêpes et les fourmis. Les hyménoptères possèdent cette particularité d’être dotés de deux paires d’ailes, trois paires de pattes, et de membres articulés. Leur corps se décompose en trois parties distinctes : la tête, le thorax et l’abdomen. Beaucoup sont habituellement surpris lorsqu’on applique cette description à la fourmi, parce qu’ils visualisent la fourmi ouvrière et non la reine mère, qui elle est bien dotée d’ailes. Avançons un peu plus dans cette caractérisation. Les abeilles au sens large forment une sous-catégorie d’hyménoptères appelée « apidés », ou Apidæ dans sa version latine. Les apidés regroupent pas moins de 20 000 espèces différentes dans le monde, dont 2 000 en Europe. Certaines espèces sont sociales, comme l’abeille melli­ fère et le bourdon, mais l’écrasante majorité est solitaire… et bien peu étudiée. Les apidés se nourrissent du nectar et du pollen des plantes et jouent un rôle de pollinisateur sur lequel nous reviendrons plus tard. Certaines espèces ont spécialisé leur approvisionnement

15

ABEILLES.indd 15

18/07/2017 09:14


Le rôle indispensable de l’abeille

autour d’une ou deux sortes de plantes et sont extrêmement vulnérables aux bouleversements de leur environnement. Toutes n’ont pas encore été identifiées. Certaines ne sont pratiquement plus observées de nos jours et ont rejoint la liste rouge des animaux menacés. Selon une étude de 2016 au niveau mondial, commandée par l’ONU, environ 40 % des pollinisateurs invertébrés sont en danger d’extinction – à savoir les insectes –, ainsi que 16,5 % des pollinisateurs vertébrés, comme les oiseaux ou chauves-souris, qui accomplissent ce rôle de pollinisateur dans certains pays tropicaux1. Nous parlerons ici principalement de l’abeille Apis mellifera – parfois aussi appelée « abeille à miel » ou « abeille domestique » –, même si le destin de chacune de ces espèces est entièrement lié. Le genre Apis comprend 8 espèces présentes sur tous les continents, hormis l’Antarctique. Toutes ont cette particularité de produire du miel en abondance et de vivre en société sur plusieurs années, là où le reste des apidés mène une vie solitaire, plus rarement une vie sociale sur une période limitée. Contrairement aux autres Apis, une seule n’est pas véritablement originaire d’Asie, Apis mellifera. C’est l’abeille la plus largement utilisée aujourd’hui pour la production de miel. 26 sous-espèces interfécondes sont issues de différentes régions d’Europe, d’Afrique et d’Asie mineure, avec à nouveau de possibles petites spécificités locales appelées « écotypes ». Du fait de leur croisement possible dans un rayon de plusieurs kilomètres, certaines sous-espèces et écotypes sont aujourd’hui menacés par l’hybridation.

1. IPBES, Résumé à l’intention des décideurs de l’évaluation thématique des pollinisateurs, de la pollinisation et de la production alimentaire, IPBES, Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), 2016.

16

ABEILLES.indd 16

18/07/2017 09:14


Comprendre l’abeille

Voyons à présent de quoi est faite une colonie d’abeilles. Une colonie d’Apis mellifera se compose d’un nombre variable d’individus, pouvant aller jusqu’à 60 000. Ils se décomposent en trois castes : ■■ Il y a tout d’abord la reine, seule femelle pleinement reproductrice

de la colonie. Elle se distingue par sa grande taille, entre 18 et 20 millimètres. Elle vit également plus longtemps que toutes les autres abeilles de la colonie, soit jusqu’à 5 ans. Une jeune reine s’accouple en moyenne avec une quinzaine de mâles lors d’un ou plusieurs vols de fécondation autour de sa colonie. Elle rentrera ensuite de manière définitive à sa colonie où elle commencera à mobiliser les spermatozoïdes conservés dans une réserve sphérique de son abdomen appelée « spermathèque ». Son rythme de ponte peut atteindre 2 500 œufs en 24 heures, soit plus que son propre poids. Au cours de son existence, la reine peut donner la vie à plus de 2 millions de descendants. Elle a besoin pour cela de l’attention d’une cour d’ouvrières qui l’assistent et lui fabriquent un super-aliment qui lui est apporté de manière constante : la gelée royale. ■■ Les ouvrières que nous venons d’évoquer sont les petites mains zélées de la colonie. Ces femelles, dont la fonction reproductrice ne s’active pas en présence d’une reine, s’affairent en permanence à effectuer les différentes tâches nécessaires pendant leur courte existence de cinq à six semaines. À leur naissance, elles sont aidées par des abeilles nourrices, avant de très vite prendre leur place pour s’occuper de nourrir la reine et les larves. Elles couvent soigneusement ces dernières, d’où le nom de « couvain », qui désigne l’espace consacré à l’élevage. Puis les ouvrières deviennent bâtisseuses des rayons de cire, réceptionneuses et ventileuses de miel. Elles gardent ensuite l’entrée de la colonie pendant 3 à 5 jours. Ce n’est qu’au bout d’une vingtaine de jours qu’elles sortent enfin

17

ABEILLES.indd 17

18/07/2017 09:14


Le rôle indispensable de l’abeille

de la ruche à la recherche de nectar, miellat, pollen, propolis ou eau. Elles accompliront ces tâches jusqu’à leur dernier souffle. Plus chanceuses, les abeilles qui naissent à l’orée de l’hiver n’auront pas à accomplir toutes ces tâches immédiatement. Quand survient le froid, elles se regroupent pour se tenir chaud et économiser les réserves accumulées. Elles se préservent donc et vivront jusqu’à l’arrivée des beaux jours, soit un peu plus de 3 mois. Dans la colonie, ce sont précisément les ouvrières qui ont la charge de maintenir la ruche propre et saine par leur comportement hygiénique, de manière tantôt individuelle, tantôt sociale, en coordination avec leurs congénères. Leur dévouement, leur sens du sacrifice pour la survie de leur colonie est total. Elles laissent en effet leur vie en piquant le prédateur, ou en fuyant la colonie lorsqu’elles se sentent atteintes de troubles potentiellement contagieux. ■■ Les mâles, aussi parfois appelés « faux-bourdons » – ce qui n’est

pas sans générer des confusions avec les vrais bourdons (Bombus spp.) –, ne sont visibles dans la colonie qu’à une certaine période, au printemps et en été, lorsque les apports de nectar et de pollen sont abondants. Leur rôle se limite à celui de perpétuer l’espèce. Leur langue trop courte les empêche d’atteindre le nectar dans les plantes. Ils sont donc principalement nourris par les ouvrières. Si la météo le permet, ils sortent de la ruche à la recherche d’une éventuelle reine vierge effectuant son vol de fécondation. Afin de la repérer en plein vol au beau milieu de la nature, leurs yeux sont particulièrement développés. Si par chance il leur est permis de féconder une reine, cela sera leur dernière action. Le mâle meurt en effet des suites de l’accouplement, car une partie de ses organes vitaux est déposée sur l’abdomen de la reine. À l’arrivée de l’hiver, ou quand les apports alimentaires se font moindres, les ouvrières

18

ABEILLES.indd 18

18/07/2017 09:14


Comprendre l’abeille

mettent à la porte les mâles, éléments jugés improductifs et dont la présence mettrait à mal la survie hivernale de la colonie.

LA COLONIE, UNE SOCIÉTÉ COMPLEXE Si l’abeille en elle-même est un insecte tout à fait original, comme nous venons de le voir, une colonie forme un super-organisme qui fonctionne mieux que la simple addition de tout le travail individuel des abeilles. Cette organisation complexe suscite la curiosité des hommes depuis leurs tout premiers rapports avec les abeilles. Dans la Grèce antique, Aristote avait réalisé un prototype de ruche en verre, en partie transparente, afin d’en percer les mystères et de nourrir sa réflexion sur le fonctionnement politique des cités grecques. Ces travaux n’ont eu de cesse d’avancer et nous en savons désormais davantage sur les mécanismes de prises de décisions internes à la colonie. Parmi les grands observateurs de l’abeille, nous pouvons bien entendu citer les travaux de l’Autrichien Karl von Frisch, pour lesquels il reçut le prix Nobel dit « de physiologie ou médecine » en 1973. Puis, son élève Martin Lindauer étudia à son tour leur comportement, principalement au sujet de la communication et de l’orientation. Ces travaux sont aujourd’hui prolongés par ceux de Thomas Seeley, depuis son centre de recherche de Cornell University, aux États-Unis. Un nombre stupéfiant d’informations sont communiquées en permanence au sein de la colonie. Elles le sont par différentes phéromones, des sons, mais aussi par la trophallaxie et la fameuse danse des abeilles. La trophallaxie s’entend comme la transmission de nourriture d’abeille à abeille. Elle se produit à chaque fois qu’une butineuse rentre à la ruche avec du nectar et le transmet à une réceptrice, qui

19

ABEILLES.indd 19

18/07/2017 09:14


Le rôle indispensable de l’abeille

peut ensuite le transmettre à son tour avant de le stocker dans les alvéoles, ce qui a pour effet d’enrichir le nectar en enzymes et de le transformer progressivement en miel. Mais la trophallaxie se produit également entre les ouvrières dans diverses situations, souvent liées à un stress. On suppose que des messages rassurants sont véhiculés par cette pratique, comme la présence et la bonne santé de la reine, dont les phéromones inhibent les ovaires des ouvrières et empêchent la construction de cellules royales qui accueilleraient une nouvelle reine de substitution. À l’inverse, la trophallaxie peut aussi être à l’origine de la propagation de certaines maladies ou molécules chimiques dangereuses au sein de la colonie. La danse des abeilles est leur forme de communication la plus emblématique. Elle a été mise en lumière par Karl von Frisch. Des ouvrières expérimentées, les éclaireuses, explorent les environs, et reviennent en délivrant leur message par une danse mêlant vibrations et déplacements en forme de 8. Tout cela se passe dans l’obscurité de la colonie, à la verticale sur les rayons de cire, et pourtant, le message sera limpidement interprété par les congénères, qui partiront à la distance et dans la direction indiquée par rapport à l’axe du soleil. Le message peut porter sur la localisation de ressources – eau, nectar, pollen – mais aussi sur la découverte d’un nouvel endroit pour s’établir, lorsque la colonie se trouve à l’étroit et a besoin de se diviser. Dans ce cas précis, appelé « essaimage », les deux tiers de la colonie sont en général partis avec la vieille reine et se fixent temporairement dans un périmètre proche, laissant le tiers restant élever une nouvelle reine. Plusieurs éclaireuses reviennent avec chacune un possible endroit à aller habiter – littéralement, coloniser. S’engage alors un débat démocratique semblable à nos élections. Les éclaireuses reproduisent leur danse à répétition, amassant des supportrices ou au contraire perdant des voix si leur message n’est

20

ABEILLES.indd 20

18/07/2017 09:14


Comprendre l’abeille

pas assez convaincu et convaincant. Le message le plus fort finira par l’emporter, et Thomas Seeley de préciser qu’il s’agit du meilleur choix dans la quasi-totalité des cas observés. Une autre dimension de la communication au sein de la colonie et au sein même d’un rucher est la communication acoustique. Les connaissances scientifiques avancent progressivement depuis peu sur cette faculté à produire différents sons. Grâce à des micros installés au milieu d’une colonie, il est désormais possible d’anticiper un essaimage imminent. Ces différents sons sont produits par la vibration des abeilles, grâce aux muscles de leur thorax, principalement de la part des abeilles éclaireuses2. D’autres informations et délibérations concernent la décision de ventiler la colonie afin de réguler la température ou le niveau de CO2 qui n’atteint jamais plus de 1 à 2 %, ou encore la décision d’élever la température du nid pour lutter contre la propagation d’une maladie. Différents comportements et phéromones interviennent dans ces prises de décisions collectives. Par conséquent, l’organisation de la colonie est millimétrée. Chaque individu comprend exactement le rôle qu’on attend de lui selon les circonstances. Aujourd’hui cependant, la limpidité de ces messages est perturbée par la présence dans la colonie de molécules et d’odeurs exogènes. Certains produits collectés dans l’environnement par les abeilles perturbent leur sens de l’orientation et leurs organes sensoriels, sans nécessairement constituer une dose létale. Nous y reviendrons plus largement par la suite.

2. Schlegel T., Visscher P.K., Seeley T.D., « Beeping and piping : characterization of two mechano-acoustic signals used by honey bees in swarming », in Die Naturwissenschaften, 2012, 99 (12), 1067-71.

21

ABEILLES.indd 21

18/07/2017 09:14



Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.